La liquidation judiciaire d’Aldebaran, pionnier de la robotique française et créateur du célèbre robot NAO, marque la fin d’une aventure technologique et humaine qui aura duré près de vingt ans. Retour sur la trajectoire fulgurante d’un fleuron de la French Tech, les causes de son effondrement, et l’état réel de ses actifs à l’heure de la dissolution.
Un rêve technologique devenu mirage industriel
Fondée en 2005 par Bruno Maisonnier, Aldebaran Robotics s’était donnée pour mission de démocratiser le robot compagnon. NAO, petit humanoïde de 58 cm, a rapidement conquis les laboratoires et écoles d’ingénieurs du monde entier grâce à son design expressif et à sa plateforme logicielle ouverte. Son successeur, Pepper, robot d’accueil doté d’émotions, devait ouvrir la voie à une robotique de service grand public.
Pourtant, le marché des robots domestiques n’a jamais décollé. Malgré des levées de fonds importantes et des subventions publiques, Aldebaran n’a pas réussi à atteindre la rentabilité. En 2012, l’entreprise est rachetée par le géant japonais SoftBank pour plus de 100 millions d’euros, puis passe sous contrôle du groupe allemand United Robotics Group (URG) en 2022. Ces changements d’actionnaires ont progressivement dépossédé Aldebaran de son autonomie et de sa capacité d’innovation.
Un demi-milliard d’euros engloutis, une rentabilité jamais atteinte
Au total, plus de 500 millions d’euros auront été investis dans Aldebaran en vingt ans, entre fonds privés, subventions publiques, et crédits d’impôt recherche. SoftBank à lui seul a injecté plus de 500 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 20 à 30 millions d’euros d’aides publiques, notamment pour le projet Romeo, robot dédié à l’assistance des personnes âgées.
Malgré la vente de près de 30 000 robots (dont 19 000 NAO) dans 70 pays, la société n’a jamais trouvé son modèle économique. Les robots NAO et Pepper, bien que populaires dans l’éducation, la recherche ou l’accueil, n’ont pas su conquérir un marché grand public, ni démontrer leur rentabilité à grande échelle.
Les causes d’un effondrement annoncé
Plusieurs facteurs expliquent la chute d’Aldebaran :
- Marché inexistant pour le grand public : Les robots de compagnie restent un marché de niche, loin des projections initiales.
- Retards et tensions internes : La croissance rapide et le manque de management adapté ont fragilisé l’organisation1.
- Manque d’innovation sous contrôle étranger : Après le rachat par SoftBank, puis URG, Aldebaran est devenu un simple centre de coût, perdant son autonomie stratégique et sa capacité à innover.
- Concurrence accrue : D’autres acteurs mondiaux (Honda, Toyota, startups asiatiques) ont inondé le marché de robots similaires, diluant l’avantage technologique de NAO5.
- Arrêt du soutien financier : URG a cessé de financer Aldebaran à l’été 2024, précipitant la chute de l’entreprise.
Que valent encore les actifs d’Aldebaran ?
La liquidation laisse peu d’actifs valorisables au regard des dettes accumulées. Voici un état des lieux des principaux actifs :
Actif | Description | Valeur estimée / Potentiel |
---|---|---|
Stock de NAO v6 | 555 unités (obsolètes), valeur d’exploitation 1,1 M€, valeur de réalisation 550 000 € | Faible, marché limité |
Production NAO v7 | 752 unités à financer, coût de production >1,7 M$ | Incertain, projet inachevé |
Propriété intellectuelle | 123 brevets, dont 5 réellement pertinents ; marque NAO à renouveler | Portée juridique limitée |
Outils techniques | Outillages pour NAO v7, valorisation potentielle 170 000 € | Faible, usage très spécifique |
Réseau commercial | 3 partenaires actifs sur 28, ventes annuelles estimées à 150 unités | Insuffisant pour rentabilité |
La base installée de milliers de robots dans les écoles et centres de soins ne constitue plus un marché exploitable, faute de support technique et de maintenance. Les plans de développement du NAO v7 restent partiels, et aucun logiciel pleinement opérationnel n’a été identifié dans la procédure de liquidation.
Un héritage en déshérence, un symbole pour la French Tech
La disparition d’Aldebaran ne signifie pas seulement la perte d’un acteur industriel, mais aussi celle d’un symbole de souveraineté technologique française. L’entreprise incarnait l’ambition de la French Tech, le trait d’union entre recherche publique, industrie nationale et mission éducative. Sa liquidation révèle l’érosion de la chaîne de valeur, de la délocalisation des décisions stratégiques à l’abandon des compétences et des actifs humains.
Alors que les géants mondiaux investissent massivement dans la robotique humanoïde, la France voit s’éteindre l’une de ses étoiles. Le marché mondial de la robotique pourrait atteindre 7 000 milliards de dollars d’ici 2050, mais sans Aldebaran, la French Tech risque de perdre sa place dans cette course.
La liquidation d’Aldebaran est le reflet d’un échec collectif : absence de vision industrielle à long terme, dépendance aux financements étrangers, et incapacité à transformer une innovation de rupture en succès commercial durable. Si ses actifs matériels et immatériels ne valent plus grand-chose, l’histoire d’Aldebaran restera comme un avertissement pour l’écosystème technologique français : sans soutien structurant, même les plus belles étoiles peuvent s’éteindre dans l’indifférence.
Sources
- Aldebaran, liquidation d’un symbole : que valent encore ses actifs ? – FrenchWeb
- Aldebaran : La Fin d’une Ère en Robotique Française – Innovations.fr
- Aldebaran, la vedette de la robotique française, placée en liquidation judiciaire – Le Monde
- Aldebaran en liquidation judiciaire : clap de fin pour le pionnier français de la robotique – L’Express
- Aldebaran, maker of Pepper and Nao robots, put in receivership – The Robot Report
- Qui a cassé Nao, le petit robot français ? – YouTube
- Softbank s’offre le français Aldebaran Robotics – FrenchWeb