L’industrie musicale fait face à une nouvelle menace : l’utilisation de l’intelligence artificielle et des bots pour gonfler artificiellement les écoutes sur les plateformes de streaming comme Spotify, Apple Music ou Deezer. Cette pratique frauduleuse, qui vise à maximiser les revenus des royalties, soulève des questions éthiques et économiques majeures.
L’essor des fraudes par l’IA dans le streaming musical
Avec l’avènement des outils d’IA générative, comme Suno ou Udio, la création de musique est devenue plus accessible. Cependant, cette démocratisation a un revers : certains exploitent ces technologies pour produire des milliers de titres à faible coût, souvent de qualité médiocre, dans le seul but de générer des royalties frauduleuses. Selon Deezer, environ 18 % des morceaux téléversés quotidiennement sur sa plateforme, soit plus de 20 000 pistes, sont entièrement générés par IA. Bien que ces morceaux ne représentent que 0,5 % des écoutes totales, près de 70 % de leurs streams proviennent de bots ou de fermes de streaming, et non d’auditeurs humains.
Un cas emblématique illustre l’ampleur du problème. Aux États-Unis, Michael Smith, un homme de 52 ans, aurait généré des centaines de milliers de chansons par IA entre 2017 et 2024. En utilisant 1 040 comptes de bots répartis sur 52 services cloud, il aurait accumulé 10 millions de dollars en royalties grâce à des milliards d’écoutes frauduleuses sur des plateformes comme Spotify, Apple Music et YouTube. Ce type de fraude, qualifié de “premier cas criminel” impliquant l’IA dans le streaming musical, met en lumière les failles des systèmes actuels.
Les conséquences pour les artistes et l’industrie
Ces pratiques ont un impact dévastateur sur les artistes légitimes. Les royalties, qui constituent une source de revenus essentielle pour les musiciens, sont diluées par les fraudes. Selon l’IFPI, la fédération internationale de l’industrie phonographique, le streaming frauduleux “vole l’argent qui devrait revenir aux artistes authentiques”. Les indépendants, déjà confrontés à une concurrence féroce, sont particulièrement touchés. Par exemple, l’Australien Paul Bender a découvert que des pistes frauduleuses, générées par IA, étaient associées à son profil Spotify, nuisant à sa réputation et à ses revenus.
En outre, la prolifération de musique générée par IA complique la découverte de talents authentiques. Les algorithmes de recommandation, influencés par des écoutes artificielles, peuvent privilégier des contenus frauduleux au détriment de créations originales. Cela crée un cercle vicieux où la visibilité des artistes honnêtes diminue, tandis que les fraudeurs prospèrent.
Les réponses des plateformes de streaming
Face à cette crise, les plateformes réagissent. Deezer, par exemple, a pris des mesures radicales en introduisant un système de détection capable d’identifier 100 % des contenus générés par des outils comme Suno et Udio. Les morceaux identifiés comme frauduleux sont exclus des playlists éditoriales et des recommandations algorithmiques, et leurs royalties sont bloquées. Depuis juin 2025, Deezer affiche également des étiquettes “contenu généré par IA” pour informer les auditeurs.
D’autres plateformes, comme Spotify, reconnaissent le problème mais adoptent une approche plus nuancée. Gustav Söderström, co-président de Spotify, défend l’IA comme un outil qui “augmente la créativité” en permettant à davantage de personnes de produire de la musique. Toutefois, il insiste sur la nécessité de respecter les droits d’auteur, une ligne rouge pour la plateforme. Malgré cela, les systèmes de détection de fraudes restent imparfaits, car les fraudeurs adoptent des stratégies subtiles, comme gonfler légèrement les écoutes de nombreux morceaux pour échapper aux radars.
Les défis juridiques et éthiques
La lutte contre la fraude par IA soulève des questions complexes. D’un point de vue juridique, les outils d’IA comme Suno et Udio font l’objet de poursuites pour violation de droits d’auteur. Les grandes maisons de disques, telles qu’Universal Music Group, Warner Music Group et Sony Music Group, accusent ces plateformes d’exploiter sans autorisation les œuvres d’artistes renommés, de Chuck Berry à Mariah Carey. Ces litiges pourraient redéfinir les règles encadrant l’utilisation de l’IA dans la musique.
Sur le plan éthique, l’utilisation de bots pour manipuler les écoutes pose la question de la transparence. Comme le souligne Alexis Lanternier, PDG de Deezer, l’IA est bénéfique lorsqu’elle est utilisée par des artistes, mais devient problématique lorsqu’elle est exploitée par des bots ou des acteurs mal intentionnés. La nécessité de protéger les créateurs tout en encourageant l’innovation technologique reste un défi majeur.
Vers un avenir plus sécurisé pour le streaming musical
Pour endiguer ce fléau, l’industrie musicale doit intensifier ses efforts. Les plateformes pourraient investir dans des technologies de détection plus avancées, capables de repérer les comportements anormaux à grande échelle. Par ailleurs, une collaboration accrue entre les services de streaming, les distributeurs numériques et les autorités judiciaires pourrait permettre de démanteler les réseaux de fraude organisés.
Enfin, sensibiliser les auditeurs à l’importance de soutenir les artistes authentiques est crucial. En valorisant les créations humaines et en signalant les contenus frauduleux, les plateformes peuvent restaurer la confiance dans l’écosystème du streaming musical.
L’utilisation de l’IA et des bots pour frauder les plateformes de streaming représente une menace croissante pour l’industrie musicale. Si des acteurs comme Deezer prennent des mesures prometteuses, la bataille est loin d’être gagnée. En combinant innovation technologique, régulation juridique et sensibilisation, l’industrie peut protéger les artistes et garantir un avenir équitable pour la musique en ligne.
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